Jamais une étude scientifique aussi approfondie n’avait mieux décortiqué l’évolution, mieux encore, la transformation du système radiophonique haïtien de 1957 à 2020. Wisnique Panier, passionné par les études sur le milieu médiatique haïtien, a décroché son diplôme de doctorat en communication publique après avoir présenté en ligne, le 1er avril 2021, sa thèse, à l’Université Laval (Québec-Canada), devant un prestigieux jury.
Publié le 2021-04-28 | lenouvelliste.com, Lire la suite.
Winisque Panier est le fondateur et directeur du Centre d’études interdisciplinaires sur les médias haïtiens (CEIMH). Il est aussi membre du Groupe de recherche sur les mutations du journalisme (GRMJ), dirigé par le professeur à l’Université Laval, Jean Charron, son directeur de thèse, qui est aussi membre du Groupe de recherche et d’étude sur la radio (GREER). Le désormais docteur en communication publique a déjà publié plusieurs ouvrages, dont « la déontologie des médias face au pouvoir de l’argent : le cas d’Haïti et de la France ». Il est également auteur de plusieurs articles scientifiques sur les médias haïtiens.
Un petit échange avec lui permet de découvrir ses grandes préoccupations et sa passion pour les sujets relatifs aux médias, mais surtout la radio qui constitue un média dominant en Haïti. Déjà en 2010, Wisnique Panier a décroché son diplôme de maîtrise pour son travail de recherche réalisé en sciences de l’information et de la communication de l’Université Lumière Lyon (Europe). « II m’a permis de constater une absence quasi totale des études scientifiques sur tous les aspects du fonctionnement des médias haïtiens. Or, une simple observation peut permettre à quiconque de constater des faits évidents qui suggèrent des changements dans le fonctionnement du système médiatique haïtien. C’est particulièrement ce manque qui me motive à diagnostiquer l’évolution des médias haïtiens et le désir de faire avancer les connaissances dans le domaine de la communication publique en mettant à profit certaines caractéristiques propres aux médias haïtiens et les particularités de l’environnement dans lequel ils évoluent », explique le chercheur.
Pour mener à bien son travail de recherche, Wisnique Panier a identifié trois moments fondateurs qui dépeignent les contextes de l’évolution des médias durant les soixante dernières années. Entre 1957 et 1986, il considère que c’est la période où le créole a été approximativement utilisé comme langue de communication dans les éditions de nouvelles et les débats publics en Haïti, à l’époque de la dictature de Duvalier. Entre le 7 février 1986 (chute de la dictature) et le 16 décembre 1991 (date à laquelle a été organisée la première élection démocratique dans le pays, l’auteur évoque le « commencement de la libéralisation de la parole publique, la multiplication des radios et l’amplification de l’usage du créole dans la radio jusqu’à aujourd’hui». À partir de 1992, le chercheur souligne le « début de l’utilisation de l’internet à la radio » en Haïti jusqu’à aujourd’hui. Ce qu’il considère comme « une période de grande accélération du processus de transformation où l’on a enregistré de grands changements dans les relations entre les acteurs du système radiophonique avec notamment l’arrivée du téléphone portable dans le pays dans les années 2000 et les réseaux sociaux qui ont grandement contribué à la transformation du système ».
Pour le chercheur haïtien, le système médiatique haïtien reste un terrain vierge à explorer. Il y a un manque de littérature important, voire scientifique sur ce milieu de recherche qui présente certaines particularités. Dans son travail, Wisnique Panier a expliqué un « système radiophonique haïtien » caractérisé par ce qu’il appelle « un fort parallélisme politique », du moins « une forte politisation », ou encore « une domination de l’espace par une élite notamment politique » ; une domination d’un petit groupe de radios de Port-au-Prince par rapport aux autres. « La politisation du système se manifeste tout d’abord par le mode de propriété des radios. De plus en plus de leaders politiques du pays cherchent à se procurer et détiennent leurs propres stations de radio. Ensuite, il y a une politisation par le mécanisme d’attribution des licences de fonctionnement des radios par le Conatel, mais aussi le mode de financement», constate le jeune chercheur.
L’auteur de la thèse « Les transformations du système radiophonique haïtien de 1957 à 2020 : continuité et changement » fait état d’une forte précarité qui expose les journalistes et les médias à la corruption. En dépit d’une certaine évolution, « ces piliers sont inchangés depuis les 60 dernières années, mais aussi les caractéristiques de l’environnement dans lequel évolue la radio comme : l’analphabétisme, les crises politiques, l’insécurité, la pauvreté, la corruption… », souligne-t-il en démontrant une inertie, le cas échéant, une forme d’immobilisme des principales caractéristiques de l’espace radiophonique, lequel reste toujours dominé par une élite qui y exerce une certaine hégémonie. Cette élite est particulièrement constituée d’intellectuels, de leaders politiques, de professionnels de différentes disciplines.
« Pour moi, le plus grand constat, c’est qu’en dépit des transformations importantes constatées dans le système médiatique haïtien au cours des six dernières décennies, les caractéristiques fondamentales qui structurent le fonctionnement du système radiophonique haïtien et de l’environnement dans lequel il évolue restent inchangées », observe Wisnique Panier dont les travaux de recherche constituent, précise-t-il, une mine de connaissances sur le fonctionnement des médias haïtiens. C’est aussi, pour lui, une contribution très significative à l’avancement des connaissances dans le domaine de la communication publique. « J’espère que mes travaux de recherche pourront être exploités par tous les acteurs du système médiatique haïtien. L’obtention de mon grade de docteur en communication publique n’est qu’un premier pas dans le monde de la recherche. Je compte me consacrer à la recherche scientifique sur la transformation du système médiatique haïtien dans toutes ses composantes », ambitionne celui qui entend apporter sa contribution universitaire dans un pays où l’on n’accorde pas d’importance à la recherche scientifique, comme le rappelle l’auteur. « La recherche scientifique demande de la compétence, du temps et de l’argent. On ne finance pas la recherche en Haïti », constate Wisnique Panier, qui occupe actuellement la fonction de conseiller à la Mission permanente d’Haïti auprès de l’Organisation des Nations unies à New York. Il est délégué à la 6e commission (juridique) de l’Assemblée générale.