Le professeur Hérold Toussaint critique le déficit de créativité et de culture scientifique en Haïti. Conscient de la misère à la fois matérielle, académique, morale et civique dont souffrent les universités haïtiennes, notamment l’Université d’Haïti (UEH). Il propose des actions concrètes en vue de permettre à l’Université de jouer pleinement son rôle en Haïti.
Le professeur Hérold Toussaint est pleinement conscient du mauvais traitement subi par le corps professoral dans les universités haïtiennes, notamment à l’Université d’État d’Haïti (UEH). Il l’avoue lui-même à la page 113 de son dernier ouvrage, Le courage d’habiter Haïti au 21e siècle. La vocation de l’universitaire citoyen : « Nous savons nous plaindre du salaire dérisoire que reçoivent les professeurs de nos différentes universités». Cette situation, dont il souffre lui aussi, n’affecte pas son engagement à accompagner les étudiants dans leur quête de réussite. « Nous savons nous réjouir de notre travail auprès des étudiants, confie-t-il. Nous avons vu la plupart d’entre eux grandir intellectuellement. C’est une manière pour nous de valoriser ce métier qui donne sens à notre existence sur ce coin de terre que nous appelons Haïti.»
Docteur en sociologie, détenteur d’une maîtrise en communication sociale, Hérold Toussaint enseigne depuis 1999 à l’Université d’État d’Haïti. Professeur invité à l’Université Laval (Canada), il se consacre depuis plus de quinze ans à des recherches en sociologie de la communication et sociologie des religions et a déjà publié, à titre personnel, une dizaine d’ouvrages dont le dernier titre, Le courage d’habiter Haïti au 21e siècle. La vocation de l’universitaire citoyen (paru en 2015), constitue tout un manifeste sur le rôle de l’Université dans une société comme Haïti.
Il initie ses étudiants de l’Université d’État d’Haïti qui bouclent leur premier cycle d’études à la recherche. De 2003 à nos jours, ces étudiants ont publié dix livres sous sa direction : a)Médias et citoyenneté (2003) ; b) Communication, poésie et politique ( 2006) ; c) L’armée et la presse écrite en Haïti (2006) ; d) Propagande politique et élections présidentielles en Haïti (2007) ; e) Haïti et la France. Un débat escamoté ( 2009) ; f) Femmes et citoyenneté politique. Lettre à la jeunesse haïtienne ; g) Communication et diplomatie. L’ambassadrice Janet A. Sanderson et Haïti (2012) ; h) Communication politique et parlement haïtien. La CCP, à cinq ans de distance ( 2013) ; 1) Littérature et politique. Lire Justin Lhérisson à l’ère des campagnes électorales en Haïti (2014) ; k) Science et politique en Haïti. Le projet de Georges Anglade (2015). Ces dix titres sont placés dans nos différentes librairies. Actuellement, le Docteur Toussaint accompagne six étudiants dont trois filles et trois garçons qui préparent une réflexion critique sur le livre « L’échec de l’aide internationale » écrit par Ricardo Seitenfus, ancien représentant de l’Organisation des États Américains (OEA) en Haïti.. Ces étudiantes et ces étudiants seront présents à « Livres en folie » en mai prochain.
En 1986, le recteur de l’Université d’État d’Haïti (UEH), Roger Gaillard a résumé la réalité universitaire haïtienne par le mot « misère » : une misère à la fois matérielle, académique, morale et civique. De nos jours, cette situation semble n’avoir guère évolué. Les professeurs sont toujours sous-payés et les universités font face à de nombreux autres problèmes, tels : la carence de centres de recherche ou de bibliothèques et d’enseignant qualifiés, une faiblesse au niveau de la recherche scientifique, etc. Il est donc urgent de redresser cette situation, selon le professeur Toussaint pour qui la solution doit passer par un ensemble d’actions spécifiques, dont le respect de la fonction de l’université décrite par la constitution haïtienne, l’octroi de bourse de manière équitable aux meilleurs bacheliers haïtiens et les licenciés, la liberté d’enseignement, le service civique, etc.
Dans ce contexte, l’universitaire haïtien a pour obligations de se montrer sensible aux problèmes de la cité et de faire preuve d’humilité tout en évitant de s’enliser dans l’improvisation et la recherche de succès faciles. Il faut faire preuve de patience, être conscient de ses limites et éviter de reproduire la logique de la corruption, de l’amateurisme politique et l’incompétence qui s’impose dans l’univers politique au sein de nos universités.
À partir de son lieu d’enseignant – chercheur, Hérold Toussaint se montre toujours critique face à la culture du désespoir qui envahit toutes les couches sociales haïtiennes et l’insouciance des différentes élites face à l’angoisse des nouvelles générations. Se positionnant contre la résignation ou le traditionnel « Bondye bon », il fait appel au courage, sachant que le courage est la faculté d’aller de l’avant en dépit de tout. « Le courage dont nous parlons, précise-t-il, a une dimension sociale. Ce sont les citoyens de toutes les couches sociales qui doivent avoir le courage de construire ensemble (…) Doués d’imagination, nous pouvons oser concevoir de nouvelles visions,» oser réussir ensemble afin de dominer notre destin au lieu de le subir avec un morne ennui. En ce sens, le rôle de l’université est capital.
En effet, depuis très longtemps, Haïti souffre d’un déficit de créativité et de culture scientifique. La créativité implique la capacité d’inventer de nouvelles formules susceptibles de modifier ou de transformer nos réalités socio-économique, culturelle et politique. Notre manière d’habiter ce coin de terre, nos rapports avec l’environnement, l’état de notre système éducatif, etc. témoignent du fait que nous ne cultivons pas suffisamment l’habitude de raisonner et de réfléchir sur les choses. « Il y a un non-respect des lois de la société et de la nature». D’où l’impérieuse nécessité d’un nouveau rapport avec la science dans notre société.
Aussi, ce questionnement du professeur Toussaint sur la question est pertinent : « Avons-nous dans notre milieu des sociétés haïtiennes de physique, de chimie, de biologie, de mathématiques ? Au moment de cette crise d’utopie qui traverse notre pays, avons-nous des grands travaux de pensée dans le champ des sciences exactes et des sciences sociales ? Nos différentes facultés ont-elles des laboratoires de recherche dont le but premier consiste à favoriser la recherche ?» Il s’agit là de certains des grands défis à relever par la communauté universitaire haïtienne dans la perspective d’une société plus juste et prospère. « Si nous ne valorisons pas la culture scientifique, notre société demeurera une société de répétition », avertit le professeur.
Nous avons besoin d’un environnement qui stimule à aimer la science, la littérature et les différents arts. Pour étayer ce jugement, Toussaint fait référence aux réflexions de Barthelot Marcelin qui a fait observer que « la science n’a pas seulement pour but de former des hommes utiles ; mais elle forme en même temps des citoyens affranchis des préjugés et des superstitions d’autrefois.» Ainsi, tenant compte des problèmes quotidiens que confrontent beaucoup de nos professeurs d’université, des secteurs influents de la société civile ne devraient-ils pas s’organiser pour octroyer des bourses à tous ceux et à toutes celles qui veulent consacrer leur vie à la recherche ?
Cette quête vers la créativité et la valorisation de la culture scientifique nécessite également une remise en question de la manière dont les sciences sont enseignées dans nos écoles secondaires. «C’est l’enseignement des sciences qui aidera nos adolescents à perfectionner leurs sens, discipliner leur esprit, exercer leur raison.» Or, l’enseignement des sciences est systématiquement malmené dans notre milieu. « Dans nos écoles primaires et secondaires, les sciences naturelles, mathématiques et physiques sont mal enseignées (…) Il ne s’agit pas de mémoriser des formules ou des recettes (…) Il est impérieux de se pencher sur la formation des professeurs de nos écoles sur le plan des connaissances scientifiques, » prône Hérold Toussaint.
Pierre Michelot Jean Claude