Un regard sans complaisance sur la presse de Wisnique Panier

Publié le 2012-05-29 | Le nouvelliste

Par Pierre Robert AUGUSTE

L’histoire de la presse, si elle est bien contée, peut révéler des dessous décevants et renverser des pans de mythe, construits tant par la propagande interne des rédactions que par l’illusion et la perception entretenues d’une profession noble. Prédisposée à une mission sacro-sainte, parvenue à travers les âges à une puissance redoutable, la presse se profile dans les feuilles jaunies, sur les écrans électroniques, à travers les ondes magnétiques comme un Janus, aujourd’hui adulé, demain haï et détesté. Pourtant nul ne peut s’en passe. (homme, femme, institution). Mais derrière ce qu’on considère comme un écran de fumée, se cachent ou se lèvent des actes reprochables, des coups retors. Et quand l’argent s’y mêle, vient à l’esprit la brûlante question de savoir si la presse existe pour s’enrichir ou si elle est née pour informer, plaire et éduquer. Précisément, exerce- t- elle ces trois fonctions pour arriver à cette finalité indicible : S’enrichir.

Comme pour pénétrer un secret mal gardé, Wisnique Panier descend dans un puits où tapissent hommes et femmes de plume, reporteurs d’images et de mots. Il en remonte avec d’actualisantes questions sur les rapports entre l’argent, la presse et ceux qui s’y livrent. On serait tenté de le raccorder comme une tare à Haïti. Mais cette question de dépendance entre la presse et l’argent déborde largement les frontières nationales. Partout, à travers le monde, se pose et se repose ce qui, à travers le temps, se tisse comme une problématique, pour ne pas dire la quadrature du cercle. Dans les pays nordiques, les champions autoproclamés de la liberté de la presse dans les pays du Sud où les martyrs du droit à la parole s’étirent sans fin, sans évoquer les clauses de conscience, l’indépendance ou l’autonomie éditoriales, l’obligation sans pour autant apaiser l’ardeur des remises en question sur le comportement des travailleurs de la presse et sur les terribles choix fort souvent intéressés des patrons de médias.

C’est le mérite de Wisnique Panier de dresser un géo-panorama de la presse, ou géo-argentocratie des médias à travers son ouvrage intitulé : La déontologie des médias face au pouvoir de l’argent: le cas d’Haïti et de la France, qui viendra, dans les prochains jours, renforcer la collection « Pensée Critique » des Presses Nationales d’Haïti. Mieux que tout cela, il s’en dégage une évidente nécessité qui est de moraliser la presse, moraliser les rapports de la presse avec la société et l’Etat, moraliser la gestion de la direction des médias. L’argent domine certes la presse partout dans le monde. Il vient conditionner la manière de dire, d’informer et, pourquoi pas? d’influencer. Des puissances d’argent se coalisent pour prendre le contrôle des médias et tenter d’inventer la presse unique, l’information unique, la pensée unique. La diversité qui n’est q’un point seulement, un décor, mais une absolue exigence démocratique, se retrouve enfermée dans un cercle, une circonférence du même dit, du même transcrit, du même rapporté. D’intéressantes questions académiques s’insèrent dans la sociologie de la presse et mettent face à face des thèses qui forcent au puritanisme, à la limite d’un journalisme messianique même dépourvu de tout comme un rat de l’église ou qui contrôlent les rapports entre le capital et l’autonomie éditoriale. L’argent ne doit pas transcender l’éditorial. L’autonomie éditoriale ne doit pas non plus exposer le capital de l’entreprise de presse. Des conventions internationales cherchent, malgré tout, à préserver l’indépendance de la presse comme la parure exigible d’une femme même en mal de virginité ou de fidélité.

L’une des voix morales les plus autorisées, le pape Paul VI, a dénoncé le travestissement de la vérité par omission calculée. Déduira-t-on aisément qu’entre la liberté de la presse et l’indépendance des journalistes existe une étroite corrélation avec la vérité, une vérité plurielle, diverse, elle-même existentiellement dépendante du discernement du public, de l’auditoire, du lectorat ? Sans la vérité, la presse se décrédibilise, se meurt de déconsidérations. Un attachement à la vérité même approximative demande aux journalistes de se montrer toujours objectifs, de ne tronquer ni travestir les déclarations qu’ils auront entendues, ni dénaturer les faits dont ils auront eu connaissance. Entre ces deux pays qui se partagent tant d’affinités, Haïti et la France, comment se présente la situation de la presse par rapport à la puissance, à la tentation de l’argent ? Wisnique Panier, titulaire d’un master 2, Spécialité Recherche « Sciences de l’Information et de la Communication », Parcours Médias, «Université Lumière Lyon II » (France), établit les comparaisons, consulte les spécialistes, dresse même une exégèse. Son ouvrage, sorte de casuistique « sans bonnet ni crosse », sera adopté par la profession comme un cadre de référence, un guide, un fil d’Ariane, qui permettra de sortir aisément des dédales de la puissance de l’argent. Tout ce qu’un journaliste doit savoir s’accumule dans ce livre comme un round-up. Il faut lire et s’approprier que pour un journaliste il n’y a ni deux ni trois sûretés: le respect des normes professionnelles.

Nul n’entre ici s’il ne croit au devoir de tolérance, de vérité, d’objectivité qui, dialectiquement, ne sont jamais une. Voilà ce qui devrait figurer au fronton de chaque rédaction et que Wisnique Panier fait ressortir comme un vadémécum que l’histoire de la presse a consacré et qui partout a besoin des parangons pour briller sous les feux de la rampe. Au moment où la presse haïtienne devient par des dérives problème de la démocratie, au moment où la profession a besoin de retourner aux normes cardinales et de se ressourcer, se revitaliser dans la formation et le perfectionnement de ses membres, l’introspection, la remise en question, les débats, les discussions deviennent une maïeutique pour les journalistes, un devoir d’ouverture, de transparence. Si la liberté de la presse a progressé en Haïti depuis 1986, le journalisme, lui, a reculé. Ce n’est pas à un gouvernement de résoudre ce grave problème, – encore qu’il puisse apporter sa contribution, somme forte importante. – Il revient à la profession de prendre en charge elle-même le destin des journalistes, la vie des pratiquants, de rétablir le lien intergénérationnel et dissiper tous les mythes qui sont autant d’écrans de fumée qui cachent la dure et pénible réalité de la presse haïtienne d’aujourd’hui. Les propriétaires des médias doivent reconnaître et prendre conscience qu’ils sont les premiers responsables de la mauvaise traitance qui sévit dans les rangs des journalistes comme la nouvelle peste décorée « en tout va bien ».

Si un journal, une station de radiodiffusion ou de télédiffusion est une entreprise, la presse ne peut se ramener à une simple marchandise, à la remorque des détenteurs de capitaux, politiciens, commanditaires, ONG, officines d’ambassade. Quoi qu’on dise, quoi qu’on pense, la presse, gardienne des valeurs démocratiques, restera une institution morale sans devoir être moralisante, par l’exigence de vérité, de tolérance, d’objectivité, qui sont son lot. A tout cela s’ajoute un impératif d’articuler l’opinion nationale. Le verbiage ne pouvant en tenir lieu, c’est là le talon d’Achille, la faiblesse de la presse haïtienne. L’opinion nationale s’absente. Wisnique Panier aura été la plume qui décrit, la voix qui interpelle, le radiodographe qui fait voir. Que d’autres confrères se lancent dans son sillon et, sans complaisance, accouchent de leurs propres vérités sur le monde des médias, la société nationale de journalistes, la vie professionnelle domestique. L’ouvrage de Wisnique Panier mérite d’être lu pour mieux comprendre ce que la presse n’est pas.

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